Un acte de résistance : la publication du Faux Soir le 9 novembre 1943

Le 10 mai 1940, la Belgique est envahie par les troupes allemandes. Le journal Le Soir, important organe de presse bruxellois et belge continue de paraitre jusqu’au 18 mai 1940.

L’entreprise de presse et de publicité appartenant à la famille Rossel depuis 1887 est alors mise sous séquestre. Le 14 juin 1940, le quotidien est relancé par une équipe rédactionnelle à la solde de l’occupant allemand. La population appelle ce nouveau Soir le « Soir volé ». Celui-ci vante l’avancée des armées allemandes, afin d’atteindre le moral des habitants et propose des articles outrageusement racistes à l’égard des Juifs notamment. Cependant la direction se targue d’un tirage à 260.000 exemplaires en 1941.

Le poids des années d’occupation devient de plus en lourd sur les épaules de la population; les déportations s’accentuent; le ravitaillement devient plus difficile de jour en jour. En 1943, Marc Aubrion, dit Yvon, membre du mouvement de résistance Front de l’Indépendance, a une idée audacieuse : publier un faux journal Le Soir, résolument zwanzeur, pour ridiculiser l’occupant et remonter le moral des Belges. René Noël, dit Jean, chef de la section presse du Front de l’Indépendance, adhère immédiatement au projet. Un véritable défi attend les deux hommes. Rapidement, ils rassemblent autour d’eux un groupe de personnes de confiance. Les résistants du groupe se réunissent habituellement rue Van Lint, à Anderlecht, dans l’atelier de l’imprimeur Pierre Lauwers, auteur des plaques photogravées qui ont servi à l’impression du « Faux Soir ».

En 21 jours, ils concrétisent le projet. L’impression est confiée à Ferdinand Wellens, résistant qui a déjà imprimé des documents pour le Front de l’Indépendance, et dont l’atelier d’imprimerie est situé rue de Ruysbroeck 35 à Bruxelles. Le tirage est fixé à 50.000 exemplaires dont 5.000 à distribuer dans les kiosques et 45.000 autres à vendre clandestinement dans les différentes sections du Front de l’Indépendance de Belgique. Les fonds rassemblés doivent financer les opérations de résistance. La présentation du journal est identique à celle du Soir volé, seule différence (mais de taille), le contenu qui tourne l’occupant en dérision : les articles se moquent des avancées nazies sur le front de l’Est qui…n’avancent pas, de la qualité du tabac Krotin A et Krotin B. Le Front de l’Indépendance profite de cette tribune pour exposer ses objectifs en vue de chasser l’envahisseur et libérer la patrie.

Le Faux Soir parait le 9 novembre 1943 vers 16 heures, à la même heure que l’édition régulière. A cette occasion, des distributeurs sont recrutés pour déposer dans les kiosques les exemplaires destinés à la vente. Chaque distributeur dépose un lot de 100 exemplaires quelques minutes avant la distribution de l’édition quotidienne. Ils sont entourés d’une bandelette portant l’indication « par suite d’une panne, le reste du service à 18 heures ».

Les dents marquant la bordure du papier est rognée – ce qui donne au journal une dimension légèrement plus petite que l’édition régulière - pour éviter d’identifier l’empreinte des rotatives. Afin de faire diversion, les commanditaires du Faux Soir demandent à la RAF à Londres de survoler Bruxelles au moment de la distribution. Une alerte aurait empêché les camionnettes du Soir volé de livrer le quotidien. Ils demandent également à des partisans de saboter les camionnettes dans le même but. Si la RAF reste muette et l’incendie des camionnettes échoue partiellement, rien ne peut plus arrêter la distribution. Chez les Bruxellois, l’étonnement est au rendez-vous, autant que l’hilarité. Si certains rient de bon cœur en public, d’autres camouflent rapidement l’exemplaire par crainte des représailles. Les vendeurs de journaux adoptent différentes attitudes : poursuivre la vente, cacher les exemplaires ou encore laisser le choix à l’acheteur entre le Faux Soir et le Soir volé traditionnel.

La réaction de l’occupant, elle, est tout autre. Le Soir volé du 10 novembre 1943 publie un petit article relatant l’édition d’un Faux Soir émanant d’un organe de propagande communiste. Ce qui se veut une énorme farce coute la liberté ou la vie à plusieurs membres du groupe de résistants. Marc Aubrion est arrêté sur dénonciation le 13 mars 1944. Condamné à mort, sa peine est commuée en 15 ans d’emprisonnement. Il est déporté dans un camp de concentration à Bayreuth, puis libéré par les forces américaines le 14 avril 1944, et en garde des séquelles physiques à vie. Ferdinand Wellens, l’imprimeur du Faux Soir est également dénoncé. Arrêté, il meurt en déportation le 28 février 1945.

En 1955, le réalisateur bruxellois Gaston Schoukens tourne le film Un soir de joie qui relate l’histoire du Faux Soir. Le film connaît un succès immédiat. Les critiques, dont celles de certains protagonistes, sont plus nuancées. Elles oscillent entre l’excellent film de fiction bien documenté et la caricature qui a été faite de cet épisode de résistance.